Philippe Mesnard (Rédacteur en chef) : Éditorial. Du sang, entre ciel et terre. À propos de nouvelles tendances de l’historiographie de la Shoah (PDF)

 

Portfolio Terezin / Theresienstadt (PDF) (photos : Philippe Mesnard)

 

Dossier : Les tabous de l’histoire allemande

Dirigé par Martine Carré, Ingeborg Rabenstein-Michel et Ralf Zschachlitz

 

Martine Carré (Université Jean Moulin – Lyon 3), Ingeborg Rabenstein-Michel (Université Claude Bernard – Lyon 1) et Ralf Zschachlitz (Université Lyon 2) : Présentation (PDF)

 

Emmanuelle Aurenche-Beau (Université Lumière – Lyon 2) : La mémoire de la fuite et de l’expulsion dans Niemandszeit de Jörg Bernig (2002) et Die Unvollendeten de Reinhard Jirgl (2003) (PDF)

  • La contribution se centrera sur la manière dont le thème de la fuite et de l’expulsion a été traité en ex RDA. Après avoir brièvement montré comment cette question y avait été largement tabouisée, on étudiera deux romans parus dans les années 2000, écrits par deux auteurs originaires de l’Est, tous deux issus de familles allemandes des Sudètes et appartenant à la génération des petits-enfants. On tentera de montrer en quoi leurs romans sont typiques d’une manière nouvelle d’envisager la problématique de la fuite et de l’expulsion, on se demandera en quoi ils se distinguent de la production des décennies précédentes et comment leur mode d’écriture les amène à mettre à mal certains tabous.

 

Carola Hähnel-Mesnard (Université Charles de Gaulle – Lille 3) : La mémoire de la fuite et de l’expulsion chez Hans-Ulrich Treichel et Reinhard Jirgl – distanciation ou victimisation ? (PDF)

  • Cette contribution s’interrogera sur les différentes façons dont le thème de « Flucht und Vertreibung » est abordé aujourd’hui dans la littérature contemporaine. Est-ce que la façon dont le sujet est représenté confirme l’idée d’un retour de l’émotionnel (et d’un tabou brisé à ce niveau-là) ? Quelle est la fonction du « roman » ou « récit familial » auquel recourent nombre d’auteurs ? Quels sont les procédés narratifs et stylistiques utilisés ? Dans quelle mesure la mémoire de la « Flucht und Vertreibung » et des victimes allemandes se superpose et se croise avec d’autres mémoires ? Les œuvres analysées proviennent d’auteurs qui appartiennent à trois générations différentes et qui sont originaires à la fois de RDA et de RFA. On s’interrogera donc également sur les particularités dans le traitement du sujet selon le contexte de socialisation.

 

Delphine Klein (Université Jean-Monnet – Saint-Étienne) : De l’abus à l’affût des tabous. Ulrike Maria Stuart d’Elfriede Jelinek (PDF)

  • Dans la pièce Ulrike Maria Stuart, écrite en 2005, Elfriede Jelinek, dramaturge hautement controversée malgré son prix Nobel de littérature (2004), thématise une période récente de l’histoire de l’Allemagne entourée de tabous en convoquant les voix des terroristes allemandes de la Fraction Armée Rouge (RAF). À partir de l’analyse du traitement du matériau historique, nous souhaitons tout d’abord montrer comment Elfriede Jelinek convoque le souvenir d’une blessure mal cicatrisée du passé et questionne le travail de mémoire. Mais si l’auteur fait face aux tabous de l’histoire et en déconstruit les mythes, elle est également aux prises avec des tabous qui entourent la pratique de l’écriture dramaturgique. Elle oppose en effet à un théâtre normatif une écriture subversive libérée de ses tabous, qui commet le sacrilège suprême de toucher et de subvertir un texte canonique du patrimoine littéraire et culturel germanique, Maria Stuart de Friedrich Schiller. Mais finalement, quel peut être l’impact d’une telle écriture, qui, en voulant dévoiler l’indicible et faire émerger le refoulé, se révèle être une écriture opaque, qui n’arrête plus le sens, qui produit un trop plein de sens, à reconstruire – ou non, puisque parfois, le sens ne compte pas : « sens : indifférent » ?

 

Ingeborg Rabenstein-Michel (Université Claude Bernard – Lyon 1) : Adolf Hitlers Mein Kampf, gezeichnete Erinnerungen an eine große Zeit : Kurt Halbritter et la déconstruction du tabou du suiveur par et dans la BD (PDF)

  • En 1968 parait Adolf Hitlers Mein Kampf : gezeichnete Erinnerungen an eine große Zeit. Halbritter entend alors dénoncer l’un des plus importants tabous de l’après-guerre qui avait marqué – et continue de marquer – l’Allemagne. En choisissant la BD, genre considéré comme mineur, voire subversif comme support, il ajoute une dimension supplémentaire à la provocation. Son ouvrage, une chronologie du quotidien sous le Troisième Reich de l’avènement d’Hitler à la chute du régime (procédé par lequel il anticipe le principe du roman graphique), est construit sur une double perspective : l’insertion de citations de Mein Kampf au début des chapitres rappelle qu’il était tout à fait possible de non seulement prendre connaissance des théories délirantes du national-socialisme incarné par le Führer, mais aussi d’évaluer jusqu’à un certain point le danger de leur mise en œuvre, et un éclairage des discours privé et public des années soixante persistant à dédouaner les responsabilités des grands corps d’État, de l’industrie, de l’Église et, surtout, de l’immense masse des suiveurs. Plusieurs enquêtes menées auprès d’élèves allemands qui dévoilaient alors l’étendue de leur méconnaissance de ce pan de leur passé si récent et si dérangeant. C’est sur cet arrière-fond qu’Halbritter entreprend sans doute aussi une œuvre didactique salutaire expliquant mieux, comme le Spiegel l’écrit alors, que tous les discours ce qui est si volontiers passé sous silence par une génération des pères pratiquant activement l’interruption volontaire de la transmission de l’Histoire. Dans la perspective de 2016, année où Mein Kampf tombera dans le domaine public, il est sans doute utile de rappeler qu’il y a cinquante ans déjà, des auteurs ont invité, par des moyens inhabituels et quelque peu iconoclastes, à affronter enfin le passé.

 

Martine Carré (Université Jean Moulin – Lyon 3) : Quand un tabou en cache un autre : Tod eines Kritikers – Mort d’un critique de Martin Walser (PDF)

  • Le roman de Martin Walser, Tod eines Kritikers, annonce et dénonce à la fois la polémique qu’il déclenche. On montrera que sa structure, contraignante pour le lecteur, l’invite à s’interroger sur le tabou de l’antisémitisme dans l’Allemagne des années 1990. Peut-on envisager ce tabou comme « tabou-écran » visant à dissimuler un autre tabou : celui d’une liberté de réflexion hypothéquée, dans les démocraties de la communication par le pouvoir coercitif de l’opinion telle que la façonnent les médias (ici en l’espèce de la culpabilité collective) ?

 

Sibylle Goepper (IEP de Strasbourg) : La judéité dans les romans de Barbara Honigmann et Jan Faktor : tabou dépassé, identité refondée (PDF)

  • Dans le contexte de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande, nombreux sont les écrivains socialisés en RDA qui thématisent pour la première fois de manière vraiment ouverte leurs racines juives. Durant quartante ans, l’État socialiste a en effet vécu sur un paradoxe : celui-ci consistait à accueillir de nombreux citoyens d’origine juive, à les compter au rang de « victimes du fascisme », à leur offrir des postes clés, tout en les rendant invisibles à la société en tant que tels. À ce propos, Vincent von Wroblewsky parle de « perception bloquée, presque secrète, honteuse ». C’est la fin de ce tabou que nous nous proposons d’étudier dans les œuvres en prose des écrivains dits de la « deuxième génération » Barbara Honigmann et Jan Faktor. Nous montrerons comment, malgré des parcours biographiques, des rapports au judaïsme et des procédés narratifs très différents, les romans post-tournant de ces descendants de survivants renouent avec la problématique centrale de la littérature juive allemande depuis le tournant du siècle en se concentrant sur la quête identitaire des personnages, et comment ils apportent une contribution originale à la question de l’identité juive dans la littérature de langue allemande après 1945.

 

Hélène Camarade (Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3) : Le viol des femmes allemandes en 1944-1945 : Un tabou transgressé dans les journaux intimes et les romans ? (PDF)

  • Lors de sa première édition en 1959, le journal intime anonyme Eine Frau in Berlin, écrit par une journaliste berlinoise entre avril et mai 1945 qui fait état des viols massifs perpétrés par les soldats russes à Berlin et des stratégies mises en place par les femmes pour les éviter, suscita la désapprobation des critiques. Sa réédition en 2003 fut saluée par la presse et l’ouvrage, autrefois tant décrié, devint un véritable succès de librairie, aussitôt traduit dans d’autres langues. L’argument avancé pour expliquer ce succès fut alors que le tabou des viols des femmes allemandes était désormais tombé. C’est également la transgression d’un tabou qui fut invoqué en 2008 par le réalisateur Max Färberböck afin de justifier l’intérêt d’une adaptation cinématographique. Notre communication a pour but d’étudier l’existence et la nature de ce prétendu tabou depuis 1945 et d’envisager son éventuelle transgression dans la littérature est-allemande et ouest-allemande avant 1990, puis dans la littérature contemporaine. En ce qui concerne la RDA, on peut parler d’un véritable non-dit collectif imposé par les autorités, qui permet d’entretenir le mythe d’une armée rouge libératrice et bienveillante. Certains ouvrages brisent cependant la « loi du silence » (Günter de Bruyn) sur les exactions russes, comme le roman Kindheitsmuster de Christa Wolf (1976), mais surtout Tod am Meer (1977) de Werner Heiduczek qui provoque les foudres de l’ambassadeur soviétique Abrassimov. L’ouvrage est tout de même réédité en 1988. En République fédérale d’Allemagne, la publication relativement régulière de témoignages évoquant cet épisode, ainsi que sa présence dans la littérature, par exemple dans Die Blechtrommel de Günter Grass (1959), invite à se demander si cet événement n’est finalement pas plus inaudible que véritablement indicible. On peut en effet se poser la question de savoir si le tabou n’est pas plus conditionné par la réception du récit que par le témoin lui-même, et s’interroger sur sa fonction sociale. Il permet entre autres de masquer ou de légitimer le manque d’intérêt de la société ouest-allemande et des historiens. Dans le cadre d’un retour du discours victimaire dans l’Allemagne contemporaine, les viols de 1945 sont évoqués dans plusieurs romans, par exemple dans Der Verlorene de Hans-Ulrich Treichel (1998), Die Unvollendeten de Reinhard Jirgl (2003), Die Mittagsfrau de Julia Franck (2007) ou dans le roman pour la jeunesse Ein wunderbarer Vater de Gudrun Pausewang (2009). Les modalités du récit ne semblent cependant pas véritablement évoluer par rapport aux témoignages ou aux romans des décennies précédentes : le viol est rarement décrit au premier plan, le récit se fait principalement par le biais du regard des enfants et il est souvent évoqué de manière allusive ou détournée. On retrouve cette même continuité dans la représentation filmique, le viol est filmé à l’arrière-plan ou en hors champ. Quant aux recherches historiques, elles restent en Allemagne réunifiée au point mort, comme le déplore Götz Aly en 2008. On peut donc se demander si la fonction de l’actuel discours autour du tabou transgressé n’est pas de légitimer en partie le retour du discours victimaire.

 

Anne Peiter (Université de la Réunion) : À la recherche d’un champ anhistorique. Mise en place de tabous allemands : les exemples de Leni Riefenstahl et Albert Speer (PDF)

  • Cette contribution vise à démontrer comment la photographe et cinéaste Leni Riefenstahl d'un côté, et l'architecte Albert Speer, ministre d’armes d’Hitler, d'autre part, perçoivent le passé nazi, et ce à un moment où la « tabouisation » ou plutôt la « dé-tabouisation » se déroule depuis 1945 en Allemagne de l'Ouest. Contrairement à l'évolution générale de la mémoire politique allemande, la situation des deux acteurs n’est pas une évolution à partir d'un silence collectif vers une reconnaissance progressive des crimes. Les noms de Speer et Riefenstahl ont été interdits jusqu'en 1960, avant qu'ils ne soient connus pour leurs « voyages ». Speer continue à tourner en rond dans la cour de la prison comme une personne possédée et appelle ce cercle « un voyage autour du monde ». En ce qui concerne Riefenstahl, elle nous apporte des photos du Soudan qui relancent sa carrière, mais en même temps qui la ramènent vers le passé, tout le chemin du retour jusqu’au « Troisième Reich ». Selon l'interprétation de Riefenstahl ce n’est pas le passé qui éclaire la prochaine période, mais le présent qui illumine le passé récent, dans laquelle elle ne voit que beauté pure, apolitique et anhistorique. Speer est plus enclin à se confronter avec le passé grâce à l'autoquestionnement. Mais on pourrait se poser la question s’il est, comme le photographe, axé sur la purification du présent, et de cette façon placer la combinaison du passé et du présent dans le signe de purification. Ainsi la « dé-tabouisation » signifie un encouragement à tourner la page : la Shoah peut être classée.

 

Ralf Zschachlitz (Université Lyon 2) : Tranches de vie sous le national-socialisme marquées du sceau du tabou dans Anders de Hans-Joachim Schädlich, Demenz de Tilman Jens et Beim Häuten der Zwiebel de Günter Grass (PDF)

  • Soixante ans après la fin du Troisième Reich, des productions littéraires de langue allemande se penchent sur des biographies touchées par le problème du tabou et du refoulement des douze années sombres du national-socialisme. Ralf Zschachlitz présente trois ouvrages biographiques, voire autobiographiques, qui traitent des tabous tissés autour de trois personnages qui ont joué un rôle important dans la vie intellectuelle et culturelle de l'Allemagne d'après-guerre. Dans son ouvrage Anders, Hans-Joachim Schädlich se penche sur la biographie faussée de l'ancien SS Hans Schneider alias Hans Schwerte, professeur de littérature à l’Université d’Aix-la-Chapelle ; dans son livre Demenz, Tilman Jens retrace les révélations concernant l'appartenance refoulée au parti national-socialiste de son père, le professeur éminent de rhétorique Walter Jens ; dans son ouvrage autobiographique Beim Häuten der Zwiebel, le prix Nobel Günter Grass révèle son appartenance à la Waffen-SS tout en essayant d'en minimiser l'importance.

 

 

Varias

Dr. Fabian Van Samang (Historien) : « Elke handeling met de intentie te vernietigen… ». Inhoud en limieten van het concept genocide in het proces tegen Ratko Mladić (PDF) [« Tout acte avec l'intention de détruire ... ». Contenu et les limites de la notion de génocide dans le procès de Ratko Mladić]

 

 

25 ans après sa disparition. Ce qu’a vraiment dit Levi (PDF)

 

 

Librairie (PDF des notes de lecture)

  • Bernard Bruneteau, Le Totalitarisme. Origines d’un concept, genèse d’un débat (1930-1942), Paris, Cerf, 2010.
    Compte-rendu par Anne Roche (Université Aix-Marseille)
  • Bernard Bruneteau, L’âge totalitaire. Idées reçues sur le totalitarisme, Paris, Le Cavalier Bleu, 2011.
    Compte-rendu par Nancy Berthier (Université Sorbonne Paris IV)
  • Philippe Mesnard, Primo Levi. Le passage d’un témoin, Paris, Fayard, 2011.
    Compte-rendu par Frediano Sessi (Université de Mantoue)
  • Philippe Mesnard, Primo Levi. Le passage d’un témoin, Paris, Fayard, 2011.
    Enrico Mattioda, Levi, Rome, Salerno, 2011.
    Compte-rendu par Albert Mingelgrün (Président de la Fondation de la Mémoire Contemporaine)
  • Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, Paris, La Découverte, 2011.
    Compte-rendu par Frediano Sessi (Université de Mantoue)
  • Guy Penaud, L’Inspecteur Pierre Bonny. Le policier déchu de la « Gestapo française » du 93, rue Lauriston, Paris, L'Harmattan, 2011.
    Compte-rendu en anglais par Sash Lewis
  • Gérard Haddad, Lumières des astres éteints. La psychanalyse face aux camps, Paris, Grasset, 2011.
    Compte-rendu par Michel Enaudeau (Journaliste)
  • Philippe Masson, Histoire de l'armée allemande, 1939-1945, Paris, Perrin, 2010.
    Compte-rendu par Leonore Bazinek (Université de Rouen)
  • Anne Roche, Exercices sur le tracé des ombres. Walter Benjamin, Paris, Grasset, 2011.
    Compte-rendu par Carola Hähnel-Mesnard (Université Charle de Gaulle – Lille 3)