Dossier : L’Aveu
Coordonné par Béatrice Fleury
Béatrice Fleury : Questionner l’aveu (PDF)
I. Aux origines et fondements d'une notion
Emmanuelle Danblon : Une rhétorique de l'aveu. Effets d'évidence et effets de sens (PDF)
- Cet article a pour ambition de faire le point sur l’une des grandes questions de la rhétorique, à travers l’étude de l’aveu. Peut-on établir un lien entre la validité d’un argument et la force persuasive d’une parole énoncée ? Si l’aveu ne peut remplir la fonction d’un argument, où va se nicher sa force persuasive ? Et enfin, comment l’aveu comme acte de langage apparaît-il comme plus « évident » qu’un argument construit par l’orateur ? À travers une enquête pragmatique et rhétorique, illustrée finalement par l’utilisation de l’aveu dans les tribunaux gacaca au Rwanda, on tente de rendre compte du lien technique qui s’instaure entre preuve technique et preuve extra technique, entre vérité et persuasion.
Christian Biet : Droit et littérature sous l'Ancien Régime. Le cas de l'aveu, preuve notoire (PDF)
- Les dispositifs juridiques comme les phénomènes judiciaires n’existent pas en soi, et leur effectivité n’apparaît que parce qu’ils sont formellement construits et contractuellement reconnus par l’ensemble des partenaires à un moment donné de l’Histoire. Une preuve en droit n’est donc une preuve que parce qu’elle fait partie des phénomènes qui sont historiquement habilités par la loi, la morale, le bon sens, la politique, etc., à produire une vérité juridique, ou judiciaire, sur un cas. Et l’aveu, comme toute preuve, et comme tout phénomène et dispositif juridique (et judiciaire) n’échappe pas à la règle. Cependant, dans ce cadre, l’aveu a, dans le droit d’Ancien Régime, mais aussi dans le droit contemporain, une place prépondérante. Mais si prépondérant que soit l’aveu, il n’indique qu’une version de la vérité judiciaire à un moment donné du cas. Il représente une vérité judiciaire, autrement dit une version possible et jugeable de la vérité, en tant que cet aveu a été instruit à partir de procédures particulières. C’est à cette question que la littérature s’intéresse : partie des considérations du droit, la littérature en effet prend du champ, de la distance par rapport à la preuve juridique, et l’examine sur un autre terrain, doute de son caractère probant, ou redoute son application mécanique et publique ; c’est pourquoi elle prévoit les limites que le droit n’a pas à franchir et narre les silences qu’il doit supporter. Dans le roman de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, l’aveu de Madame de Clèves, si probant, et propre à l’engager dans un processus de punition publique, restera secret, jugé par le mari et endossé par la coupable, renfermé dans les bornes de l’intime, et deviendra une terrible punition privée, bien plus violente ; pour les lecteurs, il donnera lieu à un examen, portant non seulement sur cet aveu-là, mais sur l’aveu en soi et en toute circonstance, comme preuve notoire et suffisante au regard de la loi comme au regard des consciences privées. La littérature, qui se sert ainsi du dispositif judiciaire et juridique de la preuve par l’aveu, ne cesse simultanément de l’analyser, de le déplacer, de l’entourer de ses autres terrains – celui de la conscience, de l’intime, ou de l’intérêt particulier – pour en saisir les failles et mettre en débat les signes tangibles de la preuve et la preuve elle-même, autrement dit la croyance qui la détermine.
II. De l'Aveu à sa mise en scène
Ophir Levy : La forteresse et l'aveu. À propos d'Un Vivant qui passe de Claude Lanzmann (PDF)
- Dans le documentaire Un Vivant qui passe (1997), Claude Lanzmann se confronte au déni massif de Maurice Rossel, délégué de la Croix-Rouge qui visita le camp de Terezín en juin 1944. Celui-ci fut totalement dupe de la mascarade nazie consistant à maquiller l’horreur du camp sous un décor hâtivement construit en vue de l’inspection. Le film met en crise la figure du témoin et, de manière plus radicale, la notion même de visible, qui n’est plus une manifestation de la réalité, mais le lieu pervers de sa dissimulation.
Delphine Robic-Diaz : Quand le cinéma français passe aux aveux. Les guerres de décolonisation entre indicible et inmontrable (PDF)
- Depuis la décolonisation, le cinéma français est régulièrement confronté au spectacle de sa culpabilité tant dans les représentations des exactions commises que dans celles de la défaite. Le motif filmique de l’aveu est ainsi devenu au fil des décennies tout autant le moyen d’expression d’une culpabilité certaine que celui d’un désir de reconnaissance envers le traumatisme subi par les combattants français.
Alpha Ousmane Barry : Les aveux de comploteurs en Guinée : mise en scène et mensonge historique (PDF)
- Un quart de siècle après la mort de Sékou Touré, la Guinée a du mal à assumer son passé. Ce malaise de la mémoire empêche de recomposer les fragments éclatés de son histoire. Or, une distance sépare la mémoire officielle propagée par le régime totalitaire et la réalité historique. Dans ce tiraillement entre le besoin et le devoir de mémoire, les archives, que je replace dans le contexte de la procédure d’extorsion de l’aveu, constituent ma principale source d’information. Dans cette contribution, nous proposons d’examiner comment le contenu des dépositions, le dispositif de leur présentation et les scénographies à l’œuvre dans la trame textuelle font advenir la figure imposée du coupable sur la base d’un amas de faits et d’événements disparates.
III. Aveu et tensions mémorielles
Béatrice Fleury : Quand la presse française s'empare du passé de Günter Grass (2006-2007). Des dits de l'autre aux dits de soi (PDF)
- L’analyse de la presse française commentant l’aveu de Günter Grass sur son passé dans la Waffen-SS donne à voir bien des surprises. Au choc succède un effort de contextualisation qui place la réflexion du côté de la mémoire, individuelle et collective. Ainsi les cadres de lecture du passé de Günter Grass s’ancrent-ils dans les liens qui se sont noués entre l’écrivain et une partie des intellectuels français.
Joanna Teklik : L’affaire Popieluszko ou l'histoire d'un aveu politique singulier (PDF)
- En 2009 sort sur les écrans polonais un film sur le père Jerzy Popieluszko (Wieczyński, Popieluszko. La liberté est en nous) qui rappelle la figure du prêtre assassiné, devenu un des symboles de la résistance polonaise au régime soviétique. Enlevé et torturé, le père Popieluszko est assassiné le 19 octobre 1984 par trois membres des services de sécurité dépendant du ministère de l’Intérieur. « Vivant, il gênait, mort, il encombre », sa tombe devient bientôt un lieu de pèlerinage et l’opinion publique réclame sa canonisation immédiate. Face à une telle réaction, le pouvoir, embarrassé (et ceci, pour des raisons diverses), met en scène un procès, entièrement agencé, qui révèle d’un côté les dissensions au sein du Parti et d’un autre, la cohésion et la force de l’Église. Or, ce qu’il faut retenir, c’est le fait que le procès des assassins du père Popieluszko, conçu initialement pour démontrer le consensus national, tourne à la démonstration de son impossibilité radicale. L’aveu auquel on participe tout au long du procès n’est finalement qu’un aveu faussé, toujours « contrôlé » par les dirigeants en place, une sorte de fiction ayant pour but de protéger les vrais responsables. Inutile de rajouter que les assassins, condamnés et emprisonnés, ont bénéficié par la suite de remises de peine importantes. La sortie du film, les récentes publications, ainsi que la question de la future béatification du père Jerzy, font que l’affaire Popieluszko revient dans les pages des journaux et rappelle non seulement la figure du martyr polonais, mais aussi l’histoire du procès unique dans les annales des pays du bloc soviétique, et celle d’un aveu politique singulier.
Varias
Sabina Frontera : « Un espace de liberté ». Les internés militaires italiens à Wietzendorf (PDF)
- Au lendemain du 8 septembre 1943, plus de 800 000 militaires italiens furent désarmés par les Allemands. On leur a demandé de choisir entre continuer la guerre au côté de l'Axe ou être faits prisonniers. La grande majorité choisit la détention en Allemagne. La naissance de la République Sociale (la République de Salò) fut compliquée politiquement par la présence des « prisonniers italiens » au sein du Reich et du fait, en accord avec Salò, de leur attribuer le statut d’internés militaires. Un bon choix pour le Reich qui parvint de cette façon à contourner les règles de la Convention de Genève de 1929 en évitant les contrôles des organisations internationales, y compris la Croix-Rouge. L’Oflag '83 de Wietzendorf fut un des camps d’internés militaires italiens (IMI) ; du point de vue structurel peu de choses le distinguait des autres Oflags et Stalags. Des baraques délabrées, surpeuplées et n’offrant que peu de protection contre les rigueurs hivernales, des installations sanitaires primitives, des soins de santé inexistants. Un camp « normal » dont l'originalité résidait dans l'expérience d’une résistance soutenue allant au-delà du rejet de la guerre, de l'univers des camps de concentration et des régimes qui les ont voulus et créés. À Wietzendorf s’est développée une profonde réflexion sur le passé, sur la période fasciste (Ventennio ou 20 ans) et son importance, et sur l'Italie que l'IMI a voulu construire au retour. Une lutte quotidienne pour conserver dans le camp un petit espace de liberté, apprendre à observer de manière critique la réalité concentrationnaire et l’idéologie qui les avait générés, et imaginer l'Italie de demain.
Izabela Kazejak : Between Assimilation and Emigration: Jews in Wroclaw from the Second World War to 1968 (PDF)
- Cet article présente les résultats d'une recherche effectuée dans le cadre de la bourse Fritz-Stern obtenue à Wroclaw en 2006. Ceux-ci servirent à l'élaboration d'un Master des Arts qui fut défendu en 2007 à l'Université Europa de Frankfurt (Oder) (Allemagne) au sein du département des Études culturelles. L'objectif de cette recherche était d'analyser les facteurs qui ont mené, entre 1945 et 1968, à l'émigration de Juifs de Pologne et à leur assimilation dans la culture polonaise.