Éditorial : Les commémorations de 2019-2020, un souvenir à manipuler avec précaution ? (Frédéric Crahay)
Chroniques
- Cinéma : Elser, un héros ordinaire d'Oliver Hirschbiegel (Jack P. Mener)
Munich, 8 novembre 1939. Hitler échappe de peu à un nouvel attentat. Elser est l’histoire extraordinaire d’un héros, tout sauf ordinaire. On est saisi de vertige rien qu’à l’idée qu’un
homme à lui seul faillit changer le cours de l’Histoire et éviter les 60 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale. Son nom ? Georg Elser, un nom plutôt facile à retenir mais qu’on a
pourtant failli oublier. Oliver Hirschbiegel, le réalisateur allemand de La Chute (Der Untergang, 2004), avec ce nouveau docufiction sorti en 2015, l’a heureusement mis au panthéon de nos
mémoires.
- Cinéma : Holocauste de Marvin J. Chomsky. Retour sur une mini-série controversée (Brecht Capiau)
Le 16 avril 1978 était diffusé pour la première fois sur la chaîne américaine NBC The Gathering Darkness (La montée des ténèbres), premier des quatre épisodes de la mini-série Holocauste. Son impact fut colossal : pour la première fois, le spectateur américain moyen était confronté à l’horreur de l’extermination des Juifs sous la forme d’un drame télévisé. Les réactions furent encore plus extrêmes lors de la diffusion en Allemagne de l’Ouest en janvier 1979. À Coblence, des militants d’extrême droit tentèrent même de faire sauter les tours de transmission de la chaîne ARD afin d’empêcher l’émission. Quarante ans plus tard, la tempête s’est apaisée, et nous pouvons aborder la série d’un oeil nouveau et analyser sa pertinence à notre époque. Nous approfondirons aussi la critique d’Elie Wiesel, qui trouvait « infidèle » et « offensante » la dramatisation de la Shoah à des fins de fiction.
- Théâtre : Laboratoire Poison d'Adeline Rosenstein (Agnès Graceffa)
Quand survivre implique de perdre son humanité et de renoncer aux impératifs moraux, que faut-il choisir : la mort ou le déshonneur ? Quel regard porter sur ceux qui optent pour la survie à tout prix ? Comment vivre lorsque l’on doit son salut à une forme de ruse, de dévergondage, de trahison ? Un groupe de personnes, des résistants, s’engagent dans une lutte clandestine. Face à une répression violente, la fermeté de leur engagement est éprouvée. Certaines informations données entraînent des arrestations en chaîne. Quel est le prix du silence, quel est le prix de la ruse ? Entre trahir ou se tuer, existe-t-il une alternative ? Une proposition théâtrale inspirée par l’ouvrage de Jean-Michel Chaumont, Survivre à tout prix ? », dans lequel est interrogé l’honneur de ceux qui ont survécu à l’oppression, et notamment les résistants torturés et les rescapés de la Shoah.
- Livre : Camps d’extermination. Les fabriques de la mort nazies de Ton Roozeboom. Itinérance et connaissance de la Shoah (Willy Coutin)
Koło, Lublin, Włodawa, Małkinia… voilà des noms de communes polonaises par lesquelles le visiteur des sites de la Shoah en territoire polonais passera certainement pour prendre conscience de l’espace que le crime nazi a impacté autour de ces usines de mort que furent les camps d’extermination de Chełmno, Bełżec, Sobibór et Treblinka. À eux quatre, ces centres dédiés exclusivement en premier à la disparition des Juifs de Pologne, mais aussi à celle de Juifs arrêtés et déportés de plusieurs autres pays occupés par les Allemands ou alliés des nazis pendant la guerre, ont fait disparaître 1,9 million de personnes, soit presque deux fois plus que le nombre des victimes juives assassinées à Auschwitz-Birkenau. Seules environ 180 personnes, passées par ces centres et évadées, ont survécu à la guerre, soit moins de 0,01 % des déportés qui y furent acheminés.
Portfolio : Le nouveau cimetière juif de la rue Bracka à Łódź (Frédéric Crahay)
Depuis 2015, l’ASBL Mémoire d’Auschwitz organise un voyage d’études sur les traces de la Shoah en Pologne. Une des étapes est Łódź, la troisième plus grande ville de Pologne. Le lieu incontournable à visiter est son cimetière juif, le plus grand d’Europe, couvrant plus de 40 hectares ; environ 230 000 Juifs y sont ensevelis. Pendant la guerre, près de 45 000 personnes y ont été enterrées, principalement dans la section que l’on appelle depuis le « champ du ghetto ».
L’entretien : Ada Chiara Zevi (propos recueillis par Frediano Sessi)
Dossier : LA RECONNAISSANCE DES VICTIMES
Depuis quelques décennies, l’idée a fait son chemin que les victimes des crimes de masse méritent reconnaissance. Celle-ci est devenue une catégorie incontournable de notre culture mémorielle. Ce dossier entend faire le point sur cette question en parcourant le large spectre de mesures garantissant la reconnaissance, de la simple remémoration aux interventions ciblées de la justice, rappelant au passage l'importance croissante de la victime dans la justice pénale internationale. Il revient sur les aspects problématiques de la reconnaissance lorsque celle-ci engendre une concurrence des victimes.
- Présentation (Daniel Acke)
- La concurrence des victimes, 20 ans plus tard (Jean-Michel Chaumont)
Jean-Michel Chaumont, qui est à l’origine de l’expression « concurrence des victimes », dans son ouvrage de 1997 devenu un classique sur le sujet, fait le point sur la question vingt ans plus tard en rappelant utilement le contexte historique particulier qui a engendré ladite concurrence et en pointant les évolutions sociales significatives qui se sont produites.
- La reconnaissance des victimes dans la justice internationale pénale : entre rétribution(s) symbolique(s) et incidence rituelle significative (Marie-Laurence Hébert-Dolbec)
C’est avec l’adoption du Statut de Rome en 1998 que les victimes furent reconnues par le droit international pénal comme titulaires formelles de droits à la participation et à la réparation, notamment. Cette reconnaissance s’avère toutefois essentiellement symbolique même si elle a fondamentalement modifié le rituel judiciaire international pénal.
- La place de la justice dans le parcours de reconnaissance des victimes de crimes de masse. Réflexions suscitées par le septième art (Vincent Lefebve)
La victime, alors qu’elle participait au procès international pénal en qualité de simple témoin, s’est vue reconnaître une place procédurale spécifique suite à l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998). Cet article interroge une telle évolution non à partir de la réalité des textes et de l’activité des juridictions, mais à partir des représentations de la justice pénale internationale au cinéma. Alors que la quête de reconnaissance des victimes de crimes de masse est absente de la réalisation pionnière qu’est Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer (1961), la renaissance du projet pénal international durant les années 1990 s’accompagne d’un certain nombre d’œuvres beaucoup plus attentives à la situation des victimes. Le film La Révélation de Hans-Christian Schmid (2010) est à cet égard particulièrement emblématique. Cette lecture en miroir proposée entre deux œuvres cinématographiques éloignée dans le temps permet ainsi d’éclairer la thématique de l’instrumentalisation des enceintes judiciaires à des fins politiques. Alors que sur Jugement à Nuremberg plane le spectre d’une justice politisée qui pourrait faire obstacle à la punition des coupables pour les crimes qu’ils ont commis, la crainte que met en lumière La Révélation est que l’intrusion de considérations politiques dans le cours du procès rende impossible la reconnaissance des victimes en tant que victimes.
- Reparation in Rwanda’s gacaca courts (Bert Ingelaere)
The Rwandan gacaca courts that dealt with the legacy of the 1994 genocide against Tutsi were inspired by a customary conflict resolution mechanism also known as gacaca – meaning “justice on the grass” – that existed in Rwandan society since pre-colonial times. Reparation was not one of the stated goals of the modernized version of gacaca. Nevertheless, the modern gacaca system had – by design – a number of characteristics that aimed at facilitating the recognition of and reparation for victims: perpetrators needed to ask for pardon and most of the trials dealt with property looted and destroyed during the genocide. Based on long term fieldwork in Rwanda, including the observation of almost 2,000 trials, this article zooms in on these two characteristics of the court systems in practice. The analysis shows how the experience of recognition differs when pardon is expressed in or outside a legal arena and whether civil reparation happens through trial proceedings or mediation.
Varia
- Heinrich Müller. Le fugitif qui n’a jamais pu quitter Berlin… (Bernard Krouck)
- Le Chant des Marais. Histoire et parcours international d’un hymne concentrationnaire universel (Élise Petit)
Site mémoriel
- Drancy après Drancy (Renée Poznanski)
Dès son installation dans la capitale, après la Libération, le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), fondé dans la clandestinité à Grenoble le 29 avril 1943, instaurait une Commission des camps – l’une des cinq commissions chargées de préparer les ouvrages qui documenteraient la persécution des Juifs en France. Le 22 février 1945, alors que des Français « suspects de collaboration » étaient encore internés à Drancy et des troupes américaines installées dans ses tours, le rapporteur général de la Commission, M. Ratner, appelait à rompre ce qu’il appelait « le blocus du silence » sur les persécutions antijuives en France, une oeuvre qu’il estimait utile aux Juifs puisqu’elle « attirerait l’attention du monde sur la force qui voulait les détruire », mais utile aussi à la France, car elle « permettrait aux forces libres d’activer le travail d’épuration. »
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