Dossier : Quelle pédagogie, pour quelle(s) mémoire(s) ?
Coordonné par Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos
Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos : Éditorial (PDF)
Sophie Ernst : Transmission de masse et pédagogie de la Shoah : nouveaux enjeux (PDF)
- À partir du moment où la mémoire de la Shoah devient centrale dans la culture, la question de la transmission aux jeunes générations engage une politique des institutions scolaires, alors que le débat sur l’éducation est obnubilé par de tout autres enjeux, notamment de justice sociale ou de réformes de structure. C’est pourquoi les associations de mémoire et les musées-mémoriaux ont joué un rôle pionnier, par rapport à l’institution scolaire, qui doit néanmoins assumer ses responsabilités de façon autonome. Elle devrait notamment réévaluer des pédagogies qui ont alors pris forme en dehors de tout débat et qu’on peut questionner en revenant sur le tournant des années 1990, au moment où l’on bascule dans la transmission de masse, avec les risques inhérents à toute massification. Certains dispositifs se sont imposés comme les « bonnes formes », comme le témoignage dans les classes, le voyage à Auschwitz, l’identification aux jeunes victimes. Quels en sont les présupposés et les effets réels ? Il convient de rouvrir la réflexion sur l’adéquation entre les finalités et les méthodes, et d’innover en matière de formation des maîtres vers des dispositifs plus impliquants, qui feraient une place au débat sur les problèmes de fond.
Monique Eckmann et Charles Heimberg : Quelques constats à propos de la transmission scolaire de la Shoah en Suisse (PDF)
- Cet article rend compte d’une enquête auprès d’enseignants suisses sur les conditions de la transmission de l’histoire et de la mémoire de la Shoah. Elle part de questions sur la didactique de l’histoire et les représentations sociales. Basée sur des entretiens narratifs, elle montre que les enseignants sont exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes et pratiquent volontiers la comparaison avec d’autres génocides, mais sans toujours relier leurs pratiques aux réflexions des chercheurs.
Dominique Trimbur : Enseigner et transmettre la Shoah – État des lieux multiple et enjeux divers (interview par Philippe Mesnard) (PDF)
- En juillet 2008, a eu lieu à Yad Vashem (Israël) la 6e conférence internationale consacrée à l’enseignement de la Shoah. On a pu y constater une forte présence anglo-saxonne, des pays de langue espagnole, ainsi que des pays de l’Est. Pour ces derniers, l’enseignement de la Shoah est un des éléments clés de la démocratisation. À travers les journées de cette vaste manifestation, on a pu sentir une double tendance : d’une part, l’affirmation d’un discours politique qui réaffirme le lien entre Israël et la perpétuation de la mémoire de la Shoah ; d’autre part, une forte orientation universaliste.
Jean-François Forges : La mise en place de l'enseignement de la Shoah en Espagne, à Madrid (PDF)
- Depuis 2006, le gouvernement espagnol a admis la nécessité de l’enseignement de la Shoah. Cérémonies et colloques visant à redonner leur place aux judéo-espagnols se sont multipliés, avec des historiens, des juristes, des anciens déportés, quelquefois en présence du Roi lui-même. L’entrée de la Shoah dans les programmes scolaires sur le plan historique et moral s’est accompagnée d’une intense réflexion théorique et les premiers voyages pédagogiques et historiques ont été organisés sur des lieux de la mémoire de la Shoah en Europe.
Jesus Alonso Carballès : Le bombardement de Guernica dans les manuels d'histoire de l'enseignement secondaire en France (1946-2006)
- Les manuels scolaires constituent des outils pédagogiques indispensables dans la transmission de l’histoire et de la mémoire aux jeunes élèves de toutes les générations. L’article analyse la place accordée au bombardement de la localité de Guernica dans l’enseignement secondaire français à travers l’analyse de vingt-sept manuels publiés depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à 2006.
Frediano Sessi : Éléments pour une réflexion sur la présence de la Shoah dans les écoles italiennes
- Dans les années 1980, très peu de cycles universitaires prévoyaient des cours sur l’extermination des Juifs, le nazisme et le fascisme dans leur programme d’histoire contemporaine. Il faut attendre 1996 pour que l’histoire du XXe siècle soit introduite dans les programmes scolaires en Italie. Mais en 2000, une loi instaure le « jour de la mémoire », et depuis lors on constate une accélération disproportionnée des initiatives, activités et projets mémoriels.
Andrés Nader : Histoire locale : Réflexion et travail de mémoire, une éducation pour la démocratie ? (PDF)
Geneviève Van Cauwenberge : Le documentaire belge contemporain saisi par la pédagogie de la Shoah : Modus operandi
- Ce texte examine comment le documentaire belge contemporain envisage la question de la pédagogie de la Shoah. Qu’est-ce qui a changé récemment dans la façon dont le documentaire didactique entend transmettre la mémoire de l’événement aux jeunes ? En s’appuyant sur un documentaire sorti en mars 2008, Modus Operandi, l’article repère des modifications tant au niveau de l’approche historique de l’événement que de ses modes de représentation filmique. Tout d’abord, Modus Operandi aborde l’événement selon un angle national et opère un déplacement de l’évocation de la mémoire des camps à l’étude du processus de la déportation et à l’examen de la responsabilité des autorités belges dans la persécution des Juifs de Belgique. Ensuite, le documentaire ne se borne plus à transmettre un savoir historique, mais invite à une réflexion sur l’écriture filmique de l’histoire. Enfin, il prend ses distances par rapport à une démarche pédagogique, jugée problématique de nos jours, celle qui consiste à confronter les adolescents à des images choquantes pour leur faire prendre conscience de l’horreur du génocide.
Jean-François Bossy : L’exemplarité fragile de la transmission scolaire de la mémoire de la Shoah (PDF)
- L’enseignement de la Shoah est devenu aujourd’hui, en France et ailleurs, un lieu d’intense visibilité des fragilités de l’institution scolaire dans sa mission de transmission. Les avancées dans le domaine de la connaissance savante, fortement enchaînées désormais à une approche définitionnelle, classificatoire et comparatiste de la Shoah confortent un certain nombre d’impensés.
Yannis Thanassekos : Transmettre l'histoire et la mémoire des crimes et génocides nazis. Connaissance du passé et critique du présent (PDF)
- La transmission de la mémoire d’« Auschwitz » n’est pas la transmission de quelque chose de déjà donné. Elle présuppose l’élaboration du sens et de la signification de ce dont il s’agit de transmettre. Rares sont les sujets d’histoire qui donnent à voir un tel écart entre d’une part les exigences d’une compréhension qui ne sacrifie pas à la complexité (devoir d’histoire) et, de l’autre, les contraintes et les limites inhérentes à toute pédagogie (devoir de mémoire). Comment surmonter ces difficultés sans opérer des simplifications dangereuses et/ou des mystifications ? Du point de vue éducatif, l’expérience d’Auschwitz n’a de véritable sens que si elle donne accès à une critique sans concession du présent.
Varias
Elisabetta Ruffini, Sandro Scarrocchia : Auschwitz, Bloc 21. L’histoire d'un mémorial à défendre
- À la différence des autres pavillons nationaux sur le site d’Auschwitz I, l’Italie s’est dotée en 1980, après de longues années de maturation, d’un pavillon dont la base est une œuvre artistique. Le parti pris était que cette œuvre se tienne à l’écart des typologies documentaires. Quelques grands noms de la culture italienne du XXe siècle y ont participé : Lodovico Belgiojoso et le studio BBPR, Nelo Risi et Mario Samonà, Primo Levi et Luigi Nono. Mais ce pavillon, longtemps laissé à l’abandon risque d’être normalisé et par là même sa dimension artistique en serait supprimée pour laisser la place à un dispositif mémoriel reposant sur la documentation, non sur l’imagination créatrice.
Ryfka Heyman : Sociologische verklaringsmodellen voor genocide. Twee casestudies : de Holocaust en Rwanda (PDF)
- Constatant que le génocide n'appartient pas encore au passé et en référence à l'Holocauste et au génocide rwandais de 1994, on a cherché à examiner dans quelle mesure les explications sociologiques d’actes de génocide ont une base commune. À cette fin, des déclarations d’« intentionnalistes » et de « fonctionnalistes » ont été comparées. Malgré les déclarations indiquant qu'il n'y a pas de base commune pouvant révéler que des actes de génocide puissent se produire, l’étude indique qu'il y a des éléments récurrents qui sont présents dans les diverses explications de l'Holocauste et du génocide rwandais. En raison du fait que seuls deux génocides ont été examinés, un nouvel examen de la validité de ce résultat serait nécessaire pour généraliser ces conclusions.
Laurent Thiery : La répression de la grande grève des mineurs du Nord–Pas-de-Calais de mai-juin 1941 et le « convoi des mineurs »
- En mai 1941, une grève éclate dans le bassin minier du Nord–Pas-de-Calais, « zone rattachée » au Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich. Privant la France et l’occupant de ressources économiques importantes, le mouvement social encadré par le Parti communiste clandestin engendre une répression brutale. L’incapacité des autorités de Vichy à ramener l’ordre entraîne l’intervention de l’Oberfeldkommandantur 670 de Lille qui déploie un plan répressif basé sur la justice militaire et l’internement des agitateurs en Belgique. La rupture du pacte germano-soviétique en juin 1941 contribue à un glissement idéologique de la vision des agitateurs et aboutit à la formation d’un convoi de déportation vers le camp de Sachsenhausen. Les mineurs du Nord sont alors au cœur des mutations du système concentrationnaire. Malgré leur envoi à l’intérieur du Reich, le processus répressif se poursuit éclairant du même coup les pratiques et les enjeux entre services allemands.